Journée des femmes
Retour06 mars 2024
Marie-Christine Gaudreau - mcgaudreau@medialo.ca
Abattre les frontières qui séparent de soi
Découverte musicale
©Photo Marie-Christine Gaudreau
Le premier extrait du mini-album de Jennie Laguerre, Musiktherapy, traduit sa volonté de s’affirmer enfin telle qu’elle est vraiment.
Jennie Laguerre a trouvé dans la musique rap un exutoire. Depuis toute jeune, l’artiste repentignoise s’évade en composant de la musique. De la mélodie aux paroles, l’artiste a commencé à créer des chansons pour exprimer ses pensées; une forme d’art qu’elle qualifie de libératrice. Toutefois, de ses débuts au tournant de l’adolescence à aujourd’hui, jamais Jennie Laguerre n’aurait cru être capable de défoncer une à une les barrières la séparant de son rêve. Portrait d’une femme qui, en partageant sa musique, a appris à s’accepter telle qu’elle est.
Dans le domicile familial des Laguerre, la musique est omniprésente au quotidien. Jennie grandit au son des chansons haïtiennes et francophones qui résonnent dans la maison. Recevant l’amour de leurs parents pour la musique, les quatre enfants du couple s’intéressent tôt à divers styles et instruments. Chant, piano, saxophone; on pourrait dire des Laguerre qu’ils sont des mélomanes.
De tous les genres musicaux qu’ils consomment, c’est toutefois le rap francophone qui accroche, plus que tout, la fratrie. À l’affût des dernières tendances, Jennie Laguerre tombe très jeune en amour avec la formation Muzion. Sa rappeuse J. Kyll l'a tout de suite inspiré en tant que femme et pionnière de l'industrie. « Depuis que je l’ai vu, j’ai toujours dit : je veux être comme la fille qui rappe. Je veux être comme elle », raconte l’artiste en entrevue avec l’Hebdo Rive Nord.
À l’école, elle noircit des feuilles et des feuilles de papier de ses élans poétiques. Elle écrit chaque fois qu’elle le peut. Bien qu’elle possède déjà à l’époque la plume créative lui ouvrant la voie vers ses ambitions, un mur lui paraissant infranchissable se dresse devant elle. « Je suis incapable de faire un oral. Parler en public; jamais ! se remémore la jeune femme. Quand j’avais un oral, j’avais mal au ventre; j’étais malade. J’étais très renfermée, je n’exprimais pas mes émotions, j’étais timide extrême. J’avais peur de tout… »
Affronter ses peurs
Dans les circonstances, présenter ses créations devant un public ne constituait même pas une option envisageable. Jusqu’à ce que sa sœur la confronte; refusant qu’elle ne garde son talent caché plus longtemps. À contrecœur, pour faire plaisir à sa sœur qui la menace de renoncer elle-même à sa passion pour la danse si elle refuse de chanter, Jennie monte sur scène à l’église que fréquente sa famille lors d’un événement jeunesse. Elle a alors 14 ans. « Quand j’ai commencé à rapper, je regardais par terre avec le micro et l’autre main dans le cou. J’ai des vidéos et je ne regardais personne. Je ne faisais que dire les paroles », se souvient-elle.
Malgré son aisance inexistante; la jeune fille est agréablement surprise de voir que les gens apprécient ses textes. Une première graine est semée.
©Photo gracieuseté
Lorsqu'elle ne rappe pas, Jennie Laguerre est en classe, à inspirer ses élèves d'adaptation scolaire.
À partir de ce jour, elle rappe de plus en plus régulièrement dans les événements de son église, puis son nom commence à circuler à l’extérieur. Elle forme éventuellement un duo avec sa jeune sœur qui chante aussi. Ensemble, elles font plusieurs événements corporatifs. Si elle accepte de se dévoiler un peu plus, elle garde encore des boucliers tout autour d’elle pour se protéger. Jusqu’au début de la trentaine, Jennie est convaincue qu’elle ne peut se permettre d’être elle-même. Son estime personnelle est faible. Elle craint le regard des autres.
S’accepter pour mieux briller
« J’ai réalisé que je n’essayais pas d’être comme quelqu’un d’autre, mais je n’essayais pas non plus d’être moi. J’avais peur d’être moi; qu’on ne m’accepte pas comme je suis », révèle-t-elle. Longtemps, Jennie tâche de se trouver des repères; d’identifier à la télévision un artiste qui lui ressemble; sans succès. C’est récemment que le déclic arrive : « tu n’es pas comme les autres et tu n’es pas obligé d’être comme les autres. Accepte toi telle que tu es et fonces. »
En 2021, elle repousse ses limites et s’inscrit à la compétition de rap La fin des faibles, diffusée à Télé-Québec. Bien qu’elle n’entre finalement pas dans l’aventure, elle est sélectionnée pour l’audition devant le jury. Sa performance suscite leur intérêt; une grande victoire pour Jennie malgré la décision de ne pas poursuivre avec elle. « Quelque chose criait en moi. La fin des faibles est venue comme un message : c’est la fin de me voir comme une personne faible. […] Ce n’est pas parce que je n’ai pas été sélectionné que je suis obligée de m’arrêter là. On y va ! » s’est-elle motivée.
Dans la foulée, elle s’est mise à travailler sur son premier mini-album qui contiendra 5 pièces. Le premier extrait de Musiktherapy qui paraîtra en avril prochain a été lancé dernièrement. La chanson Pas comme les autres se révèle comme un cri du cœur de Jennie Laguerre qui affirme haut et fort qu’elle sort enfin de sa zone de confort et se dévoile, pleine et entière, dans toute son unicité. « Pas comme les autres c’est l’acceptation de qui je suis avec toutes mes capacités et mes difficultés. Je mets tout de l’avant. Je veux me faire confiance », déclare Jennie. À travers ses œuvres, l’artiste souhaite adresser bien sûr l’enjeu de l’estime personnelle, mais aussi nombre de problématiques sociales; qu’elles concernent les femmes, les enfants, les communautés ethniques, les personnes en situation de pauvreté ou de précarité. Mais, plutôt que de simplement dénoncer des situations, Jennie Laguerre souhaite utiliser sa musique pour partager des mots d’encouragement, des paroles d’espoir. « Je suis quelqu’un qui encourage, qui crois beaucoup au potentiel des gens. Je vois ce que tu peux devenir et je veux t’amener là. La musique me permet de faire ça », estime-t-elle. Par-dessus tout, Jennie aimerait qu’il y ait davantage de messages positifs qui puissent voyager à travers la musique. « Je voudrais que mes nièces écoutent de la musique qui leur apporte de la joie. Il y a trop de dénigrement et de négatif dans la musique », se désole-t-elle. Avec ses chansons, elle espère contribuer au renversement de cette tendance.
©Photo gracieuseté
Jennie Laguerre est plus épanouie que jamais.
Du studio à la salle de classe
Jour après jour, elle œuvre d’ailleurs également à ensoleiller les jours de jeunes adolescents en difficulté. À l’heure des grands changements, la Repentignoise a réorienté sa carrière afin de pousser plus loin l’accompagnement qu’elle est en mesure d’offrir aux jeunes. D’éducatrice spécialisée, elle est devenue, dans les dernières années, enseignante en adaptation scolaire au secondaire. « Ça aussi c’est un terrain où j’avais peur d’aller parce que moi au secondaire je me cachais. » Sachant qu’aider l’autre était en elle, elle a foncé vers cet autre défi en dépit de ses craintes; une décision qui la rend aujourd’hui très heureuse. Bien entendu, elle croit au pouvoir de la musique dans la transmission du savoir. Dans sa classe, elle se sert de la musique pour allumer des étincelles. « Les jeunes, la poésie, ça ne leur dit pas grand-chose, mais quand je parle du rap, leur perception change. Je leur fais comprendre que ça part de là. Il y a plus d’engouement ensuite et il y a même des talents qui en ressortent. »
On peut suivre les projets musicaux de Jennie Laguerre sur Facebook, Instagram, TikTok et Youtube. En plus de son album qui sera bientôt disponible sur toutes les principales plateformes numériques, la rappeuse présente régulièrement des œuvres spontanées sur ses réseaux. Récemment, la Repentignoise a notamment été appelée à réaliser la pièce qu’on entend sur le générique de la série L’Appartement 5.
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