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Retour01 mai 2024
Jason Joly - jjoly@medialo.ca
S’attaquer au décrochage scolaire pour améliorer la vitalité économique lanaudoise
Économie
©Jason Joly - Hebdo Rive Nord
Le professeur Frédéric Laurin précise que le décrochage impose des conséquences « écosystémiques » puisqu’il a des impacts sur plusieurs éléments en même temps.
En remarquant un important taux de décrochage scolaire dans Lanaudière, le Comité régional pour la valorisation de l’éducation (CREVALE) a voulu s’informer sur cette problématique et surtout évaluer ses impacts sur la région. L’expertise du professeur en économie Frédéric Laurin a donc été mise à contribution et a mené à la conclusion que le décrochage avait des impacts socio-économiques atteignant 1,87 milliard de dollars par année, et ce seulement dans Lanaudière.
Au cours de ses récentes recherches, M. Laurin a pu récupérer plusieurs statistiques pour situer Lanaudière en matière de décrochage scolaire. Sur les 17 régions administratives de la province, elle se trouve en septième position en ce qui a trait à son taux de décrochage, qui est de 11,2 % et donc plus bas que la moyenne provinciale, mais elle fait pâle figure concernant la proportion de la population sans diplôme qui s’élève à 12,5 %. Il dit avoir remarqué quelques différences entre le nord et le sud de la région, mais souligne que « le sud ne faisait pas partie des premiers de classe non plus ».
Avant d’aller plus en détail dans les conséquences sur le développement de la région, Frédéric Laurin a d’abord résumé les impacts individuels du décrochage. Le revenu est avant tout grandement différent. « De façon pondérée, un décrocheur, donc une personne qui n’a pas de diplôme, […] gagne 19 726 $ de moins par année », remarque celui qui est aussi chercheur à l’Institut de recherche sur les PME de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il informe que plusieurs se retrouvent au chômage, avant d’ajouter que 44 % des prestataires d’aides sociales sont des décrocheurs. Ces derniers sont donc plus souvent confrontés à des problèmes de pauvreté et de santé, qu’elle soit mentale ou physique. Dans une optique économique, tout cela a des conséquences : « Avec une rémunération qui est moindre, le gouvernement collecte moins de taxes et d’impôts et il doit payer plus d’assurance-emploi et de dépenses sociales. »
M. Laurin illustre que de nombreux décrocheurs se tournent vers la délinquance et la criminalité, en plus de présenter des comportements antisociaux. La plupart ne participe pas activement d’un point de vue communautaire ou politique, ce qui a un impact sur la cohésion sociale et l’attractivité de la région. Divers sentiments sont ainsi ressentis par les décrocheurs qui peinent à se trouver un travail puisqu’ils font face à beaucoup d’insécurité par rapport à leur avenir ainsi qu’à une forte exclusion sociale.
Le chercheur a donc procédé à des calculs pour estimer les coûts du décrochage scolaire. Puisque 36 000 Lanaudois sont sans diplôme, Frédéric Laurin calcule que la région perd en revenus près de 874 M$ par année. Il a aussi travaillé pour connaitre les coûts que les trois paliers de gouvernements doivent couvrir pour les décrocheurs. Les soins de santé, l’aide sociale, les dégâts causés par la criminalité, les revenus perdus, ainsi que les primes et coûts de l’assurance-emploi font que chaque année, la région doit dépenser 1,14 milliard de dollars. « C’est énorme! Le décrochage scolaire coûte 2 585 $ par habitant. Avant même de débuter l’étude, j’étais convaincu que le décrochage avait un impact important. Quand j’ai commencé à me documenter et à voir les chiffres, je suis tombé en bas de ma chaise! », reconnait M. Laurin.
Une baisse de l’innovation à redouter
Le développement économique est aussi impacté par le décrochage, surtout dans la période actuelle, qui connait une forte pénurie de main-d’œuvre. « Des employeurs m’ont dit qu’ils n’avaient pas besoin de gens qui ont de l’éducation, puisqu’ils engagent par exemple des gars qui charrient du fer. Ma réponse à ça est que ton avantage concurrentiel va disparaitre d’ici quelques années », indique Frédéric Laurin. Ce dernier explique que les compagnies doivent constamment rester compétitives et innovatrices. Toutefois, la plupart des décrocheurs peinent à suivre le rythme lorsqu’une compagnie doit innover puisqu’ils sont moins aptes à s’adapter : « Il faut avoir la capacité de traiter l’information et cela, ça s’apprend. Comme ils quittent très tôt l’école, les décrocheurs n’ont pas nécessairement les prédispositions cognitives pour la créativité, l’ouverture d’esprit ou la résolution de problèmes. »
En devant assister ou superviser davantage leurs employés sans diplôme avec les nouvelles innovations, les employeurs peuvent noter des retards ou des problèmes au niveau de leur productivité. De plus, des formations en continu sont nécessaires pour permettre aux travailleurs d’être à jour d’un point de vue des technologies ou des compétences. « Comment fait-on pour suivre ces formations quand nous n’avons même pas les bases? », questionne le professeur d’économie. Il précise cependant qu’il y a le problème de « diplômanie », soit la non-reconnaissance d’un travailleur puisqu’il n’a pas de diplôme. « Pourtant, il y a aussi des décrocheurs qui sont très débrouillards et intelligents. Et donc ils vont être bloqués en promotion non pas parce qu’ils ne sont pas capables, mais parce qu’ils n’ont pas de diplôme. »
Frédéric Laurin conclut en disant que le décrochage et le manque de scolarité d’employés risquent de conduire à des lourdeurs managériales et concurrentielles, en plus de nuire au développement économique d’une région sur le long terme. « Tout est interrelié. Donc si nous voulons lutter contre le décrochage scolaire et si nous voulons stimuler le développement économique, ça ne peut pas être seulement une organisation qui agit. Ça doit être tout le monde parce que ça nous touche tous. » La conférence a d’ailleurs été présentée dans le cadre du Chantier régional en réussite éducative, qui était l’occasion de célébrer le caractère essentiel de la collaboration de tous les partenaires en éducation. Ann-Marie Picard, directrice générale du CREVALE, est consciente que les résultats de l’étude seront reçus comme un électrochoc : « Mais elle nous incite à poursuivre notre travail collectif et concerté. »
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