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18 septembre 2024

Marie-Christine Gaudreau - mcgaudreau@medialo.ca

Quand le quotidien devient source intarissable d’apprentissages

Éducation

Isabelle Desrochers, Jade Larivière et leurs enfants

©Photo Médialo - Marie-Christine Gaudreau

Isabelle Desrochers, à gauche, en compagnie de deux de ses enfants; Alicia, 10 ans et Éléonore, 4 ans, ainsi que Jade Larivière, à droite, en compagnie de son aîné Lionel, 12 ans.

« Est-ce que c’est légal ? », « Tes enfants ne socialisent pas ? », « Mais tu ne peux pas enseigner à tes enfants si tu n’as pas de formation ! » Les parents qui choisissent l’enseignement à la maison pour leurs enfants sont souvent assaillis de commentaires désobligeants. On les met à mal. On interprète, par manque de connaissances peut-être, leurs intentions. Mais, qu’en est-il vraiment ? Deux familles-éducatrices lanaudoises nous ont ouvert les portes de leur univers.

Qu’on se le tienne pour dit : école à la maison ne rime pas avec récréation. « Il faut être très investis », déclare Jade Larivière, représentante régionale à l’Association québécoise pour l’éducation à domicile (AQED) et mère de deux enfants scolarisés à la maison.

Une affirmation à laquelle acquiesce vivement Isabelle Desrochers, une mère de quatre enfants de L’Assomption, ayant elle aussi opté pour l’enseignement à domicile. Tous les jours, les deux mères de famille usent d’imagination, de créativité et de débrouillardise pour offrir la meilleure éducation qui soit à leurs enfants.

Bien sûr, les familles qui tournent le dos au modèle scolaire traditionnel disposent d’une plus grande flexibilité quant aux méthodes d’enseignement et aux moments consacrés aux apprentissages, ce qui soulève certes la curiosité et les questionnements. Mais pas question pourtant de tomber dans le laisser-aller, au contraire. Tous les événements du quotidien ont plutôt le potentiel de devenir des situations d’apprentissage. « Mes enfants font l’école douze mois par année; c’est très important », souligne Isabelle Desrochers.

Alicia et Félix

©Photo gracieuseté - Isabelle Desrochers

Chez Isabelle Desrochers, il n'y a pas de routine scolaire; tous les moments sont bons pour vivre des situations d'apprentissage.

Saisir les opportunités d’apprentissage

Le caractère personnalisé de l’école à la maison permet en effet à la mère d’utiliser les intérêts de ses enfants pour leur transmettre les acquis attendus selon leur niveau de scolarité; que ce soit l’hiver ou l’été, le matin ou le soir, la semaine ou la fin de semaine. Il n’y a pas d’horaire; pas de distinction entre ce qui devrait être les jours d’école et les jours de congé.

« Je saisis toutes les fenêtres d’apprentissage », d’ajouter Jade Larivière. Si son fils Lionel est plutôt matinal, il en est tout autre pour sa cadette, Salomé. « Son cerveau s’allume le soir, à l’heure du dodo. À ce moment-là, elle assimile tout, elle pose des questions. » Les parents profitent donc de ces moments où leur fillette de 6 ans est réceptive pour regarder des livres et jouer à des jeux qui stimuleront, par exemple, l’apprentissage de la lecture. Un tel aménagement d’horaire serait évidemment impossible en suivant la routine imposée par l’école traditionnelle.

« Tout le monde peut le faire, du moment qu’il a envie de s’investir pour son enfant. » - Jade Larivière, représente régionale à l’AQED

Pour le bien de son enfant

Les deux mères rencontrées au domicile d’Isabelle Desrochers déplorent d’ailleurs que la rigidité du modèle proposé ne convienne pas à tous les enfants et, surtout, ne leur offre pas des chances égales de réussite.

Dans un cas comme dans l’autre les aînés d’Isabelle et Jade, respectivement âgés de 10 et 12 ans, ne fonctionnaient pas dans le cadre scolaire traditionnel. « Alicia a commencé la maternelle en 2019. Elle fonctionnait bien à l’école, mais du moment qu’elle revenait à la maison, on était en surcharge de tout ce qui s’était passé à l’école. Donc, elle ne mangeait plus, elle hurlait. On en avait pour un 3-4-5 h de temps où on ne pouvait pas faire de bruit parce qu’elle était en surcharge », se rappelle Isabelle Desrochers.

La fillette vivait de l’anxiété et dormait peu la nuit. Rapidement, ses parents ont regardé du côté des écoles alternatives. Malheureusement, une intégration en milieu d’année ne s’avérait pas possible. Puis, la pandémie est arrivée; un exutoire pour la famille assomptionniste.

Alicia était sereine à nouveau. Elle avait même une soif nouvelle d’apprendre. « J’ai acheté des cahiers de première année et Alicia a fini son cursus de première année en 4 mois à peu près, durant sa maternelle », rapporte Mme Desrochers.

« Je ne peux plus prendre ton fils parce qu’il s’est garroché dans les murs », répète quant à elle Mme Larivière; des propos qu’on lui a tenus lorsque son fils fréquentait une prématernelle éducative. Dès lors, la maman a su que son fils ne cadrerait pas dans le moule scolaire, à temps plein. Avant l’âge de la maternelle, Lionel savait lire, écrire et excellait avec les chiffres.

Félix

©Photo gracieuseté - Isabelle Desrochers

En cuisinant, les enfants d’Isabelle Desrochers pratiquent notamment la lecture et les mathématiques, tout en développant des habiletés qui leur seront essentielles une fois adultes.

Un modèle prisé pour les enfants neuroatypiques

Bien qu’elle n’ait pas fait de démarches pour obtenir de diagnostic puisque son fils fonctionne bien à la maison, Jade Larivière se doute bien qu’on en aurait suspecté un s’il était allé à l’école, puisque Lionel se serait désorganisé dans un univers peu adapté à ses besoins. Plutôt que de se jeter dans cette tempête annoncée, Jade a choisi de tout mettre en place elle-même pour que son fils puisse exploiter son plein potentiel.

Il s’agit d’ailleurs de la réalité de nombreuses familles qui adoptent l’école à la maison, aux dires des deux mères. Un récent sondage mené par l’AQED auprès de 24 familles, comptabilisant 40 enfants scolarisés à la maison dans la région de la Lanaudière, a révélé que 18 d’entre eux avaient des enjeux d'apprentissage reconnus. De plus, des 22 enfants sans diagnostic, 17 avaient tout de même des enjeux d'apprentissage non reconnus lors de leur décision de faire l'école maison. « Beaucoup de parents retirent leur enfant de l’école parce qu’ils savent très bien que leur enfant va être un fardeau pour l’école », ajoute Mme Larivière.

Confirmant l’énoncé, lorsque le moment de l’entrée à l’école est venu pour son deuxième enfant, Félix, Isabelle Desrochers n’a pas hésité une seconde à lui offrir le même traitement qu’à son aînée. « Dans un cadre scolaire, il aurait toujours été sorti de l’école », soutient-elle, précisant que son fils de 9 ans a de multiples diagnostics, dont un trouble du spectre de l’autisme et de l’épilepsie.

Ainsi, en faisant l’école à la maison, Félix a l’opportunité d’apprendre aux moments où il est intellectuellement et physiquement disponible à travers des situations concrètes. « On ne rentre pas dans le moule régulier, par contre les acquis et les connaissances sont toujours là. Ce n’est pas parce qu’on ne « fit » pas qu’on est moins structuré et adapté. »

« On a beaucoup fait taire les inquiétudes en faisant les examens ministériels l’an dernier. » - Isabelle Desrochers

Une bataille de tous les instants

Car, oui, les parents qui enseignent eux-mêmes à leurs enfants doivent constamment se justifier; prouver qu’ils sont adéquats pour remplir le rôle d’éducateur. « L’école à la maison n’était pas valorisée autour de moi. Au début, ç’a été une bataille constante de faire valoir mon point comme quoi c’était ce qu’il y a de mieux pour mon enfant », admet Jade Larivière. Encore aujourd’hui, celle-ci considère qu’au ministère de l’Éducation, on décourage les familles d’adopter ce mode de vie, que ce soit par les exigences sans cesse changeantes ou par l’administration d’un examen ministériel unique qui détermine à lui seul la réussite ou l’échec de l’enfant.

Pourtant, Isabelle et Jade font des pieds et des mains pour accompagner leurs enfants vers l’atteinte des compétences requises pour chaque niveau. Voyages, visites régulières dans différents musées, sorties au parc et dans les événements de quartier pour socialiser, projets créatifs, expériences scientifiques; l’éducation va bien au-delà des cahiers théoriques. Le fils de Jade ne s’est même jamais assis à table pour apprendre dans un livre; le modèle ne lui convenant pas.

Félix et Alicia

©Photo gracieuseté - Isabelle Desrochers

Alicia et Félix visitent régulièrement des musées afin de vivre leurs apprentissages.

Le vivre pour mieux l’apprendre

Il est néanmoins capable, à 12 ans, de planifier l’élaboration d’un repas complet pour sa famille à partir d’un budget fixe et de le cuisiner ensuite. Il parle français, anglais et s’intéresse à l’italien. Il a également assimilé une panoplie de connaissances géographiques et historiques en sillonnant le Québec, le Canada et les États-Unis avec sa famille.

Les enfants d’Isabelle, quant à eux, ont aussi étudié le cycle de vie de certaines espèces en faisant l’élevage de papillons et de dragons d’eau. Ils ont même déjà à leur jeune âge expérimenté le monde de l’entrepreneuriat. « Les deux grands se sont créé une entreprise de savon. Ils ont dû se demander : qu’est-ce qu’on doit acheter comme matériel ? Combien ça va coûter ? Combien on doit le vendre pour avoir du profit ? », énumère Isabelle. Ils ont également eu, à travers ce projet, à travailler leurs interactions avec les gens de l’entourage afin d’expliquer leur démarche et de les convaincre d’essayer leur produit.

Bien que ces exemples parlent d’eux-mêmes, il n’en demeure pas moins qu’on remet en doute leurs choix plus souvent qu’à leur tour. Elles rêvent du jour où leur dévouement et leur capacité à puiser dans les ressources qui les entoure pour instruire leurs enfants soient reconnus. D’ici là, Isabelle affiche un sourire satisfait en dévoilant que sa fille, soumise pour la première fois à un examen ministériel l’an dernier, a fait taire bien des commérages en réussissant ladite épreuve haut la main. Comme quoi, comme mère, elle demeure la meilleure personne pour outiller son enfant pour la vie.

 

L’encadrement de l’enseignement à domicile

Au Québec, l’enseignement à domicile est étroitement encadré par le ministère de l’Éducation. À titre d’exemple, les familles qui adhèrent à ce modèle doivent chaque année soumettre un plan d’apprentissage pour leur enfant. La tenue d’un portfolio, la présentation de bilans ponctuels ainsi que des rencontres avec une enseignante accréditée sont prévues pour suivre l’évolution de l’enfant scolarisé à la maison. À ces exigences s’ajoutent certaines années clés des examens ministériels.  

 

 

 

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