Société
Retour13 novembre 2024
Marie-Christine Gaudreau - mcgaudreau@medialo.ca
Mille quatre cent soixante-dix grammes d’espoir
Prématurité
©Photo gracieuseté
Théodore est aujourd'hui en pleine santé. Il est aussi l'heureux grand frère d'une petite sœur née à terme.
Théodore est un petit garçon plein de vie. Assis à la table de la salle à manger, il feuillette les grandes pages de l’album photo familial. Sur les images, il se reconnaît « lorsqu’il était petit ». Théodore a 4 ans aujourd’hui. Il est grand. Et son histoire l’est tout autant. Venu au monde trop tôt, à 29 semaines et 2 jours de gestation précisément, il n’avait pas encore poussé son premier cri qu’il devait chausser ses petits souliers de grand prématuré. Une imposante montagne se dressait devant le petit bout d’homme qu’il était. Mais, entouré des siens, il poserait son drapeau sur le sommet.
Dans ce petit corps frêle se cachait une force insoupçonnée, juste ce qu’il faut de courage pour aborder ce combat que représente la prématurité. À peine un peu plus de 3 livres, 1470 grammes pour être exact; c’est le poids que pesait Théodore à la naissance. Et puis, comment pouvait-on parler de grammes alors que c’étaient des tonnes qui s’abattaient sur les épaules des parents du minuscule Théodore ? Kimberly Dolbec et Gabriel Leblanc, un jeune couple de L’Épiphanie, attendaient certes leur premier bébé avec impatience, mais pas si tôt, non.
La grossesse se déroulait à merveille. Kimberly travaillait toujours à plein temps comme infirmière clinicienne à l’hôpital. Son conjoint et elle préparaient leur futur nid familial; une maison fraîchement achetée qu’ils rénovaient en vue d’y emménager le 22 août 2020, bien avant la naissance de Théodore prévue pour le début novembre.
Mais, vous l’aurez deviné; les plans allaient changer. « J'ai commencé à avoir des petites contractions le 17 août, la journée de ma fête », se rappelle Kimberly Dolbec. Si elle ne s’inquiète pas tout de suite, les douleurs persistantes la poussent à se rendre à la maternité de l’hôpital Pierre-Le Gardeur le lendemain; question de se rassurer.
Quand tout déboule
Sur place, on soupçonne au départ un simple état de déshydratation, mais rien n’y fait. Les contractions demeurent. C’est lorsqu’on l’examine un peu plus tard que le pire se confirme : le travail a commencé. « Le médecin s’est rendu compte que j’étais dilatée à 3 cm et effacée complètement. À partir de ce moment-là, tout est allé très rapidement », poursuit la mère. À l’hôpital Pierre-Le Gardeur, on lui apprend qu’on doit la transférer d’urgence à Maisonneuve-Rosemont parce qu’il s’agit du centre le plus près capable d’accueillir un bébé prématuré de 28 semaines.
L’angoisse et un amer sentiment d’impuissance gagnent alors Kimberly Dolbec. « 28 semaines, c’est trop tôt. Plein de questions me viennent à l’esprit. Son cerveau est-il assez développé ? Son cœur ? Ses poumons ? Est-ce qu’il va avoir des problèmes de santé ? Est-ce qu’on va avoir besoin d’oxygène à la maison ? Je tremblais comme une feuille. »
Heureusement, l’état de la maman se stabilise un temps et bébé se porte bien, au chaud, dans son cocon. Prise en charge à Montréal, on administre sans attendre à Kimberly les médicaments nécessaires pour protéger le cerveau de Théodore et aider ses petits poumons à maturer advenant une naissance imminente.
Un jour à la fois
« À partir de là, on y va un jour à la fois. Chaque journée est une journée de gagner », mentionne Kimberly. Même si elle se sait bien accompagnée par l’équipe de soins, elle ne peut s’empêcher de maudire cette situation où elle n’est plus en contrôle de rien.
Théodore poursuivra finalement son séjour intra-utérin cinq jours de plus, alors que sa maman est alitée dans l’unité des grossesses à risque. Cinq précieux jours pour son développement. Le matin du 23 août, toutefois, des saignements mènent l’équipe médicale à sortir bébé en urgence.
©Photo gracieuseté - Kimberly Dolbec
Théodore est né à 29 semaines et 2 jours.
« Quand ça arrive, ton monde s’arrête, ta vie s’écroule. » - Gabriel Leblanc
« Pendant cinq jours, tout est stable et là, boom ! C’est là que ça se passe. Tu deviens parent aujourd’hui. Et, tu vas vivre avec… quoi ? Tu ne sais pas ce qui va arriver. » La crainte de complications pulmonaires et neurologiques ronge Kimberly et Gabriel, alors que tous s’affairent à préparer la salle d’opération. Théodore voit le jour à 12 h 40. On l’amène immédiatement en néonatalogie. À son grand désarroi, maman reste derrière. Elle doit récupérer de sa césarienne. Papa va au chevet de son garçon.
Dès qu’elle arrive à se glisser hors du lit, Kimberly Dolbec va retrouver son bébé. « Tu te trouves une certaine force que tu ne pensais pas que tu avais quand tu vis des épreuves », constate alors la nouvelle maman.
Par chance, Théodore n’a pas besoin d’être intubé. On l’aide à respirer avec un CPAP. Néanmoins, le rythme effréné des soins intensifs ne manque pas de rappeler aux nouveaux parents la gravité de la situation. Un raz-de-marée d’émotions les assaille.
©Photo gracieuseté - Kimberly Dolbec
Combattant
Encore sous le choc de cette naissance précipitée, on demande à Mme Dolbec de commencer à tirer son lait; son bébé en aura grand besoin pour grandir. À 29 semaines, elle se dit que ce sera impossible. Les sentiments se mêlent. « Je trouve qu’on n’en parle pas assez du fait que le sentiment d’attachement n’arrive pas aussi vite qu’on le dit. » Pas de gros ventre rond à caresser ni de grands coups qui font sourire et grimacer à la fois. La maman commençait à peine à profiter de sa grossesse qu’on la lui arrachait; qu’on remplaçait le calme d’une relation naissante par les « bips » incessants des machines, les tubes branchés un peu partout et le brouhaha d’un hôpital.
Toujours est-il que Kimberly et Gabriel sont de nature optimiste. Surtout, ils sont bien entourés. C’est ainsi qu’ils trouvent la force de se ressaisir pour accompagner leur fils dans cette grande bataille, car ce serait avant tout la sienne. « Ce n’est pas question de courage ou d’être fort, précise Kimberly Dolbec. C’est d’être résilient face à l’adversité. Le vrai combat, c’est son combat à lui. Ce n’est pas moi qui l’ai fait. J’ai seulement aidé à ce qu’il grandisse dans ce combat-là et ça va probablement être le plus gros combat de sa vie. »
En étant au chevet de Théodore, un parent à la fois, pandémie oblige, en faisant du peau-à-peau et en offrant le lait maternel, Kimberly et Gabriel faisaient tout en leur pouvoir pour aider leur nouveau-né à avancer. Deux pas en avant, un pas en arrière, mais en se rapprochant toujours un peu plus du sommet. Le sommet qui leur permettrait de passer les grandes portes de l’hôpital et de ramener bébé à la maison.
©Photo gracieuseté - Kimberly Dolbec
65 jours
Il aura fallu aux parents traverser 65 jours de tempête pour vivre ce moment. Les épisodes d’arrêts respiratoires, les chutes drastiques du rythme cardiaque, l’impuissance, le sentiment d’incompétence, les longues heures passées à l’hôpital, le manque de sommeil, la peur au ventre; le trajet fut houleux.
« On avait des arrêts respiratoires quand il était sur nous constamment. En tant que parent, on capote », se remémore Gabriel Leblanc. Quatre ans plus tard, le son des alarmes des machines est encore frais dans son esprit. Même si elle dormait à la maison, le cœur de maman Kimberly demeurait à l’hôpital. Il n’était pas rare qu’elle téléphone aux infirmières en pleine nuit pour s’assurer de l’état de Théodore. On lui répondait toujours avec bienveillance.
« Je me sentais impuissante dans tout, je me rabaissais, je ne me trouvais pas bonne, poursuit la mère de Théodore. Mais c’est sûr que je n’étais pas bonne, je ne connaissais rien de la maternité et encore moins de la prématurité. Tu ne peux pas être bonne dès le début. »
En plus de la peur quant à l’état de santé de son bébé, Kimberly Dobec devait en effet composer avec le fait qu’elle ne pouvait pas simplement apprivoiser son rôle de maman en prenant le temps de cajoler son bébé. Chaque geste était calculé, chaque soin représentait une manœuvre à respecter. Heureusement, à l’hôpital, les parents étaient bien guidés. « Pour ça, je remercie tout le monde que j’ai côtoyé parce qu’ils te laissent le temps de prendre le temps. »
Des ressources pour accompagner les familles
Et il y a aussi Préma-Québec, soulignent-ils. « Un organisme comme ça qui s’adresse à nous, ça nous permet de nous rendre compte qu’on n’est pas seul à vivre cette situation-là. Parce que quand ça arrive, ton monde s’arrête, ta vie s’écroule. T’es dans le néant complètement », explique le papa, Gabriel Leblanc. Soutien financier, groupes de soutien psychologique, prêts d’équipement, mots d’encouragement, massage sur les unités, orientation vers les ressources, informations; l’aide que peut apporter l’organisme est variée et surtout indispensable aux parents qui traversent une telle épreuve, selon Kimberly.
Grâce à tout ce soutien, un gramme à la fois, Théodore s’est rapproché de la porte de sortie, qu’il a franchie au mois d’octobre, moment où il aurait eu 38 semaines de gestation. Quelques jours plus tôt, on avait finalement pu le sevrer de l’assistance respiratoire avec succès.
Vivre d’espoir
Si ce jour fut mémorable pour la jeune famille, les 2 ans de Théodore, en 2022, furent encore plus chargés d’émotions pour Kimberly Dolbec. « Quand on sort de l’hôpital, l’âge est corrigé pour considérer les 2 mois et demi d’hôpital. À partir de 2 ans, on ne considère plus l’âge corrigé. Les 2 mois et demi devraient être rattrapés à 2 ans. »
« Quand je l’avais sur moi, à l’hôpital, je rêvais à ce moment-là. Je me disais : un moment donné, on va peut-être être à la maison. On va peut-être courir après lui et on va se dire, on a vécu ça ! Je vivais dans l’espoir qu’un jour on allait vivre une certaine normalité. »
Ce jour est arrivé et, comble du bonheur, Théodore ne conserve aucune séquelle de sa naissance hâtive. Tous ses suivis démontrent un développement, ce qu’il y a de plus normal pour un petit garçon de 4 ans.
« Si j’ai un message à envoyer, termine la maman, ce serait que quand tu vis une épreuve avec un bébé prématuré, c’est juste de garder espoir, vraiment. Un jour à la fois, l’espoir ne tue vraiment pas, ça aide seulement à passer à travers cette grosse épreuve. »
Maintenant que cette histoire est derrière elle, que tout va pour le mieux pour Théodore, Kimberly Dolbec conserve un dernier projet pour bien clore ce chapitre important de sa vie. Ayant tout noté de son séjour à l’hôpital sur son téléphone, elle rêve un jour d’écrire le récit complet de cette aventure afin de raconter son histoire à Théodore. « C’est une belle histoire d’amour qui s’est créée malgré tout. »
« Un jour à la fois, l’espoir ne tue vraiment pas, ça aide seulement à passer au travers. » - Kimberly Dolbec
©Photo gracieuseté
Depuis son congé, Théodore est suivi à la clinique de développement de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. À ce jour, toutes les observations démontrent un développement tout à fait normal pour un garçon de son âge.
À propos de la prématurité
- Une grossesse normale dure 40 semaines
- On parle de prématurité lorsque la naissance survient avant la 37e semaine.
- Les bébés nés entre la 28e et la 32e semaine de gestation, comme Théodore, sont de grands prématurés. Avant cela, on parle de très grands prématurés.
- Selon Préma-Québec, alors que le poids moyen d’un bébé né à terme est de 7,5 lb, le poids moyen du très grand prématuré est d’à peine 1,8 lb.
- Dans les dernières années, Préma-Québec a fait paraître Le livre de 1,8 livre, un recueil de quatre nouvelles écrites et illustrées par huit auteurs et illustrateurs pour mettre des mots sur cette réalité particulière.
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