Santé
Retour13 novembre 2024
Marie-Christine Gaudreau - mcgaudreau@medialo.ca
Quand la naissance prend un tournant déchirant
Prématurité
©Photo gracieuseté - CISSS de Lanaudière
Une partie de l'équipe du département de néonatologie de l'hôpital Pierre-Le Gardeur. De gauche à droite : Charlie Maltais, infirmière; Émilie Bernier, infirmière; Dre Guy-Anne Massé-Bouillé, pédiatre; Dr Olivier St-Hilaire, pédiatre; Annie Gunner, infirmière; et Dr Jérôme Ouellet, pédiatre
« On ne peut pas savoir ce que c’est de passer quatre semaines à se bercer à côté d’une Isolette [incubateur] si on ne l’a pas vécu », déclare d’emblée le docteur Olivier St-Hilaire, pédiatre à l’hôpital Pierre-Le Gardeur. Chaque année, il rencontre une centaine d’enfants nés trop tôt, entre 32 et 36 semaines de grossesse. L’Hebdo Rive Nord s’est entretenu avec lui afin d’en apprendre plus sur cet univers où se côtoient bonheur, peine et angoisse et où, bien souvent, le temps semble s’arrêter.
« C’est une situation dans laquelle on pourrait se sentir impuissant parce qu’il y a beaucoup de choses qui semblent hors de leur contrôle [les parents]. On ne contrôle pas le bébé prématuré. C’est lui qui décide », reconnaît le Dr St-Hilaire. Boira-t-il suffisamment ? Prendra-t-il les grammes nécessaires ? Quand respirera-t-il de façon autonome ? Quand sera-t-il prêt à rentrer à la maison ? On ne saurait le dire. Chaque parcours est différent selon le pédiatre.
Soins intermédiaires
Ce qu’il faut savoir, d’abord, c’est que l’hôpital Pierre-Le Gardeur est autorisé à soigner les prématurés moyens seulement, soit les bébés nés au plus tôt à 32 semaines de gestation et pesant 1,5 kg ou plus. Avant cela, comme ce fut le cas pour Kimberly Dolbec et Gabriel Leblanc avec leur petit Théodore, les bébés sont redirigés vers des hôpitaux offrant des soins intensifs pour les nouveau-nés.
Dans cet intervalle entre la 32e et la 36e semaine, les équipes sont appelées à intervenir auprès de bébés dont les besoins sont très différents les uns des autres. Alors qu’un bébé né à 35 ou 36 semaines risque de se comporter à peu près comme un bébé à terme, ceux qui voient le jour entre 32 et 34 semaines nécessiteront un niveau de soins beaucoup plus soutenu, d’expliquer Dr St-Hilaire.
Poumons immatures
« Le problème principal avec les prématurés est au niveau de la respiration. » Bien que les poumons soient entièrement formés à ce stade de la grossesse, l’organe demeure immature. Le surfactant, une sorte d’huile permettant aux alvéoles de rester ouvertes durant la respiration, est la plupart du temps présent en quantité insuffisante. « Ce qui fait qu’à chaque fois que le bébé respire, les poumons collent un sur l’autre. On appelle ça la maladie des membranes hyalines. »
Cette immaturité des poumons engendre souvent des besoins de réanimation à la naissance des bébés prématurés. « On doit aller pousser de l’air dans leurs poumons pour qu’ils commencent à bien respirer », vulgarise le pédiatre. Ce support respiratoire qui consiste en une ventilation non invasive doit souvent se poursuivre de quelques jours à quelques semaines, selon le degré de prématurité.
Par la suite, durant l’hospitalisation, le Dr St-Hilaire mentionne que les parents de bébés prématurés sont presque toujours confrontés aux « apnées-brady », une pause respiratoire associée à un ralentissement soudain du rythme cardiaque. « Dans le bas du cerveau, nous avons une zone qui contrôle notre respiration; ce qui fait en sorte que même si on dort profondément, cette zone continue de déclencher les réflexes de respiration. Chez les bébés prématurés, cette zone est immature. Quand ils dorment profondément, elle arrête de fonctionner et donc, ils arrêtent de respirer », décrit-il.
Il s’agit selon lui d’une expérience fort désagréable pour les parents. Heureusement, il existe maintenant des traitements à base de caféine qui permettent de stimuler cette zone du cerveau et ainsi réduire les épisodes d’arrêts respiratoires.
Le défi de l’alimentation
Enfin, l’alimentation constitue l’autre enjeu majeur chez les petits prématurés. « À terme, souvent tu mets le biberon dans la bouche et le bébé va boire. Avec un prématuré, si tu fais ça, il va s’étouffer. »
« La majorité des 32 semaines ne sont pas capables de boire efficacement à la naissance, poursuit le pédiatre. Une des choses qu’on fait, c’est qu’on donne des gavages; un tube qu’on insère dans le nez pour aller porter le lait dans l’estomac. » Grâce à ce coup de pouce, les bébés grandissent et gagnent les forces nécessaires pour pouvoir s’alimenter eux-mêmes par la suite.
Des causes multiples
Dans ce continuum de soins, les familles peuvent être tentées de se questionner sur le pourquoi. Pourquoi eux ? Plusieurs hypothèses existent, mais comme dans le cas de Kimberly, parfois il n’y a pas de réponses claires. « Les antécédents familiaux, le sexe du bébé [les garçons sont davantage concernés], les infections, le parcours en fertilité, les anomalies congénitales, le petit poids du bébé dans l’utérus, les grossesses gémellaires, les chirurgies durant la grossesse, l’âge durant la grossesse, les consommations et les particularités obstétricales ont notamment une incidence sur le risque de donner naissance à un bébé prématuré. »
Puis, si on ne sait trouver de réponses à ces interrogations, on peut à tout le moins compter sur le soutien des équipes. « Les pédiatres, nous sommes les chefs d’orchestre, mais les infirmières sont le centre de la néonatologie. Elles vont être nos yeux et nos oreilles. Ce sont elles qui sont avec les bébés le plus souvent, qui vont être en contact avec les parents et les écouter quand ils en ont besoin. » Docteur St-Hilaire est catégorique : « Le personnel infirmier est essentiel; sans eux, on ne serait jamais capable de faire grandir les nouveau-nés ».
Quelques chiffres
- L’année dernière, quelque 280 bébés ont été admis en néonatologie à l'hôpital Pierre-Le Gardeur, soit environ 10 % des nouveau-nés.
- Parmi eux se trouvaient 161 bébés prématurés, incluant les transferts et les nouveau-nés décédés après la naissance ayant présenté un signe de vie.
- En 2023-2024, on comptabilisait 8 décès de nouveau-nés après leur naissance.
- À l'échelle de la province, selon Préma-Québec, environ 6000 bébés naissent chaque année avant leur terme; ce qui représente plus ou moins 8 % des naissances.
- À l’hôpital Pierre-Le Gardeur, la durée de séjour moyenne des prématurés moyens est de 7,9 jours.
- De manière générale, les bébés sont en mesure de rentrer à la maison entre la 36e et la 38e semaine de gestation.
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